8 Janvier 2018
- Peu importe que je sois le premier. La seule chose qui compte, c'est que je sois le dernier.
- Je ne suis pas du genre soupirant collant, Nevada, dit-il. Je sais ce que "non" veut dire.
- Je n'ai jamais voulu que vous me colliez, Rogan.
- Qu'est-ce que vous vouliez ?
- Je voulais que vous me donniez une chance de décider si j'avais ou non envie d'une relation avec vous.
Il lâcha un soupir exagéré mais obtempéra, puis se posa en bas de l'échelle. Super. Il allait profiter de ma descente pour mater mes fesses. Bon, peut-être aurait-il la politesse de se décaler de quelques pas.
Il n'en fit rien.
Cependant, le temps que j'arrive en bas, il avait repris son expression habituelle, "je suis un Majeur et je peux te tuer avec mon petit doigt".
- Sois un gentil chat. Ne bouge pas.
[...]
C'était une scène tellement inattendue. Rogan, massif, effrayant, tout en violence à peine contenue et en froide logique - tenant délicatement un chat au poil soyeux pour la fillette minuscule en face de lui. J'aurais du prendre une photo, mais je ne voulais pas gâcher l'instant. Au contraire, j'avais envie de mémoriser la scène : une Mathilda éminemment sérieuse face à un Rogan stupéfait au regard soudain adouci.
[...]
- Merci ! lança Mathilda à Rogan.
- Avec grand plaisir, répondit-il sur un ton digne d'un homme acceptant d'être nommé chevalier.
Augustin souriait.
Rogan se tourna vers moi.
- Pourquoi moi ? s'étonna t-il ? Pourquoi pas vous ?
- Cornelius est un père au foyer, répondis-je. A ses yeux, les hommes sont ceux qui s'occupent des petits gestes du quotidien. J'imagine que c'est généralement lui qui tient le chat, mais il n'était pas disponible.
Rogan se redressa sur son siège.
- C'est affreux quand on lui rappelle qu'il est humain, me dit Augustin. Il ne sait pas comment le gérer. Dis-toi un truc, Connor : un jour, tu pourrais devenir père et avoir une fillette de ce genre rien qu'à toi.
Rogan le regarda comme si quelqu'un venait de lui vider un seau d'eau glacée sur la tête.
L'occasion était trop belle.
- J'en doute, dis-je. Il ne se mariera jamais. Il restera dans sa maison pour ruminer ses pensées solitaires, pleines de cynisme et d’amertume.
- Rentrez chez vous, Rogan.
- Ca fait un moment que vous avez arrêté de m'appeler "Mad Rogan", fit-il observer.
Je m'assis sur le rebord du bureau.
- Je vous appelais comme ça principalement pour ne pas oublier à qui j'avais affaire.
- C'est-à-dire ?
- A un meurtrier de masse potentiellement psychopathe à qui l'ont ne peut pas se fier.
Aucune réaction.
- Et maintenant, vous m'appelez Rogan. Qu'est-ce que vous essayez de ne pas oublier ?
- Que vous êtes mortel.
- Vous avez prévu de me tuer ? demande t-il une lueur amusée dans le regard.
- Pas à moins que vous ne deveniez une menace directe. Vous avez prévu de devenir une menace directe ? répliquai-je avec un clin d’œil. Il laissa échapper un petit rire. Je préférais ça.
Il tendit la main vers moi.
Je me crispai.
Ses doigts s'approchèrent si près des miens que je crus un moment que nous nous touchions. Il prit la moitié restante de mon cookie et le contempla.
- C'est à moi, lui dis-je.
- Mmm.
- Il y a un pot entier de biscuits.
Quelque chose s'alluma dans son regard.
- C'est celui-ci que je veux.
- Vous ne pouvez pas l'avoir. Rendez-le moi, rétorquai-je, la main tendue.
Il examina le cookie puis le porta lentement à sa bouche.
- Connor, je vous préviens...
Il mordit le biscuit et se mit à mâcher.
- Je vous ai pris votre cookie et je l'ai mangé. Vous comptez faire quelque chose en retour ?
Je jouais avec le feu. Très bien. S'il mangeait mon cookies, je boirais sa boisson. Je fis mine de prendre son café. La tasse glissa hors de portée pour se positionner à côté de lui.
- Ce n'est pas fair-play.
- Il n'est pas question de fair-play mais de délicieux cookies.
- Je peux être un gentil dragon quand la situation le nécessite.
- Tu es fantastique, me dit Connor Rogan avec un sourire.
- Pour ma part, je souhaite la bienvenue à notre nouveau commandant suprême Mad Rogan. J'ai hâte d'apprendre et de prouver que j'ai ce qu'il faut pour devenir membre de son équipe.
- La ferme, grognèrent à l'unisson Catalina, Bernard et Arabella.
- Je vous en prie, appelez-moi Mel. Il a dit que vous répondriez ainsi. Je dois donc vous informer que...
Elle se racla la gorge avant de reprendre d'une voix plus grave, citant de toute évidence les mots de Rogan :
- "C'est strictement professionnel. Ne piquez pas votre crise, Nevada. Ce ne vous ressemble pas."
Piquer sa crise, hein ? Je fis un effort héroïque pour rester silencieuse.
- C'est pas juste ! protesta-t-elle.
- Je suis Mad Rogan. Etre juste, ce n'est pas mon truc.